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Chantier 2 Electricité

Par webmaster - 3 avril 2010

Depuis les années 1880, qui correspondent à l’avènement du système électrique comme innovation globale irradiant tous les pores de la société, l’histoire des réseaux de transport d’électricité en France, inscrite dans son environnement technico-scientifique et organisationnel européen et international, représente une configuration majeure du gouvernement des grands réseaux techniques. Dans un dialogue sous tensions entre sciences et technologies (triphasé à haute tension, lois du réglage fréquence/puissance, mécanismes et logiques de l’interconnexion, émissions électromagnétiques), cette configuration reste une figure récurrente depuis la fin du XIXème siècle à la recherche d’une hypothétique « démocratie technique ».
Mais cette recherche par accumulation de compromis prend aujourd’hui une acuité encore plus grande avec le paradigme du développement durable, combiné aux enjeux complexes de la dérégulation/nouvelle régulation (Paradeise 2007).

S’agissant du réseau téléphonique, une périodisation en trois phases peut être proposée :

- des années 1880 aux années 1920 une période de tâtonnements, de confrontation et de construction du gouvernement des réseaux électriques. La difficulté de cette formation, avec déjà des acteurs extrêmement différents, transparaît dans l’adoption des lois du 15 juin 1906 sur la distribution d’électricité, qui constitue toujours aujourd’hui la charte de l’industrie électrique, et du 19 juillet 1922 sur le transport d’énergie électrique. Les concepts de sécurité et de sûreté de l’alimentation prennent déjà tout leur sens pour les usagers et dans la représentation démocratique de la légitimité de l’aménagement des réseaux, de leur caractère d’intérêt général et donc de leur contrôle, les collectivités locales (communes et conseils généraux), les corps d’expertise technique (Comité d’électricité) et dans une moindre mesure les Chambres de commerce jouent un rôle essentiel, celui de l’intermédiation. Les ingénieurs, les managers et les actionnaires aussi bien des compagnies de transport/distribution que des manufacturiers doivent composer avec l’ensemble de ces intérêts collectifs ou corporatistes. Des facteurs culturels et sociaux, souvent catégoriels, construisant l’électricité et ses réseaux soit comme un démiurge technologue soit comme une sorcière maléfique, interfèrent d’emblée dans les nombreux conflits : il en fut ainsi avec l’administration des PTT et ses téléphonistes qui accusent les exploitants de réseaux électriques de provoquer des chocs acoustiques traumatisants dans les centraux téléphoniques. La démocratie technique se construit souvent au forceps par le marquage de territoires contestés, porteurs d’emblée de multiples conflits d’usage, forme initiale, sinon élémentaire, du débat public.

- Des années 1930 aux années 1970 un gouvernement des grands réseaux auréolé d’une mystique modernisatrice. Conjuguant dogme du monopole naturel, qui conduit à l’entreprise publique « modèle » EDF, coeur du service public par les gains mutualisés de la « science » de l’interconnexion, figure de la haute technologie avec ses systèmes complexes, vertus de l’aménagement du territoire, les réseaux à haute et bientôt très haute tension offrent une hyperbole de la modernité. Leur gouvernement pourrait alors s’apparenter au régime du despotisme éclairé, confinant a priori le débat public dans des sphères politiques et idéologiques classiques. La cartographie triomphale de leur maillage renvoie à un gouvernement technophile qu’incarne par l’image l’affiche électorale de François Mitterrand en 1965 « Un président jeune pour une France moderne » où le pylône électrique est exhibé fièrement au premier plan comme le vecteur de cette « démocratie » électrique supposée. Naturellement cette success story recouvre bien des contre-pouvoirs, des contestations et la formulation de nombreux compromis. Trois principaux peuvent être identifiés : à l’échelle territoriale, par le levier juridique et politique de la concession, la FNCCR (Fédération Nationale des Collectivité Concédantes et Régies), créée en 1933, instance de définition et d’expression de la démocratie locale ; à l’échelle nationale à la fois les syndicats, qui exercent un pouvoir multiforme au sein de l’entreprise EDF, et la main visible de l’exécutif qui impose la suprématie de l’intérêt politique national sur l’expertise technico-scientifique de l’ingénieur X-Ponts ou Supélec ; à l’échelle internationale une organisation non gouvernementale telle que le CIGRE (Conseil International des Grands Réseaux Electriques), créée en 1921 mais qui n’atteint sa maturité qu’à partir des années 1950 avec plusieurs milliers de membres, associant exploitants de réseaux, manufacturiers et dans une moindre mesure universitaires, offre un benchmarking permanent des dispositifs et des meilleures procédures scientifiques et techniques d’aménagement et d’exploitation des réseaux de transport d’électricité. Le CIGRE, « Internationale » des experts de réseaux, à la très forte participation française, incarnerait cet idéal de métrique universelle offert par une « science » des grands réseaux électriques, dans une mystique classique de l’alliance internationale de la paix et du progrès censée déboucher sur une hypothétique gouvernance universelle.

- Une ère de remise en cause, de doute profond et en fait de complexité depuis les années 1980, entretenue par le trilogue conflictuel innovation/usages/débat public. L’ère du soupçon et surtout de la complexité croissante s’empare du gouvernement des réseaux électriques, en liaison, partiellement seulement, avec la montée des contestations du programme électronucléaire. Le paradigme du développement durable, conjugué aux nouvelles régulations et à la complexification des entreprises avec la création en 2000 d’un gestionnaire de réseau spécifique, RTE, toujours au sein du groupe EDF, se traduit dans notre champ par un véritable défi démocratique. Ce défi de « démocratie technique » correspond à l’application de plus en plus stricte des principes de précaution, de sécurité et de sûreté, et au triomphe des syndromes NIMBY (Not in my back yard) et BANANA (Build absolutely nothing anywhere near anything). Ainsi pour répondre aux aspirations des élus, des citoyens et pour prendre en compte les impacts environnementaux des aménagements, le législateur a élaboré un encadrement de plus en plus complet et complexe : étude d’impact introduite en 1976, procédure obligatoire d’enquête publique à partir de 1985 pour la THT (à partir de 225 000V) et de 1993 pour la HT, circulaire « Billardon » de 1993 fournissant le cadre réglementaire de l’information et de la consultation des élus nationaux et territoriaux et des associations représentatives, loi Barnier de 1995 institutionnalisant le débat public, arrêté interministériel du 17 mai 2001 durcissant les règles de sécurité…Le service public national exercé par le réseau de transport d’électricité est donc confronté à des défis et conflits de plus en plus nombreux : redéfinition de la notion d’intérêt général qui passe du droit extraordinaire des aménageurs au droit ordinaire des consommateurs et des riverains, enquêtes publiques fortement investies par les populations et leurs associations (Collectif Non à la THT), avec le soutien d’élus locaux qui peuvent s’opposer nettement au pouvoir central depuis les lois de décentralisation (1981-1982). Une nouvelle forme de démocratie se fait jour où tout doit être justifié à l’aune du local, remettant progressivement en cause la légitimité du gestionnaire de réseau.
Une vision manichéenne pourrait considérer que la France (et plus largement l’Europe occidentale) est ainsi passée en trente ans d’une « misère » de la démocratie des grands réseaux, avec des choix manquant de transparence et de justifications données à la société civile, à une démocratie de « misère », dont le caractère direct et formel ne serait qu’une façade camouflant les blocages de notre société du XXIème siècle…En même temps les catastrophes naturelles comme les grandes tempêtes de 1999 et de 2009 rappellent le caractère stratégique d’un service public national par sa capacité à réagir sur l’ensemble du territoire. L’enquête devra prendre en compte tous ces enjeux imbriqués de la « démocratie technique » du réseau de transport d’électricité.


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Pour citer cet article : https://resendem.u-bordeaux-montaigne.fr/spip22c0.html
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